La législation européenne actuelle prévoit que les constructeurs de camions doivent réduire les émissions de CO2 de leur flotte de 45 % d’ici à 2030 (par rapport au niveau de 2020). Ceux qui n’y parviendront pas se verront infliger une amende de 4250 euros par gramme de CO2 par véhicule. Cela peut représenter des amendes pouvant atteindre un milliard d’euros par constructeur. «Si un constructeur n’atteint pas les objectifs de 10 %, nous nous retrouverons avec de telles amendes», déclare Christian Levin, PDG du groupe Traton (MAN, Scania) et actuel président de la division Véhicules utilitaires de l’ACEA.
Lors d’une conférence de presse organisée à Bruxelles en juin dernier, Christian Levin s’est exprimé très clairement: «Si de telles amendes sont infligées, cela aura des répercussions en Europe qui iront bien au-delà des usines des constructeurs.» «Nous constituons l’épine dorsale de notre société, a déclaré Christian Levin, ce sont les transports qui permettent à l’Europe d’être aussi efficace.» Si le secteur des transports perd sa compétitivité, l’Europe perdra d’innombrables emplois et sa capacité logistique. «Et nous perdrions la position de leader mondial que nous occupons actuellement dans le domaine des poids lourds.»
Christian Levin souligne une nouvelle fois que les constructeurs de camions soutiennent pleinement l’objectif de réduction des émissions de CO2. Pour que le secteur des transports puisse y parvenir, il énonce quatre points essentiels qui doivent toutefois se compléter: les camions, l’infrastructure, l’analyse de rentabilité et la demande.
Les camions
En ce qui concerne les camions, l’industrie est sur la bonne voie: tous les grands constructeurs proposent aujourd’hui des camions électriques à batterie et les capacités de production sont disponibles. Christian Levin: «Nous pouvons garantir la livraison des véhicules, lorsque le client passe commande, le camion électrique choisi lui est livré.» Aujourd’hui, la part des camions électriques dans les ventes en Europe est de 3,6 %, mais elle devra être multipliée par dix d’ici à 2030. Certes, les camions électriques ne devront pas à eux seuls assurer les 45 % de réduction des émissions polluantes, mais même si 10 % de cette réduction doit provenir d’améliorations apportées aux moteurs diesel et à l’aérodynamisme, l’essentiel, soit 35 % de réduction des émissions de carbone, incombera aux camions électriques en seulement quatre ans et demi.
Des pays comme la Suède et les Pays-Bas, mais aussi la Suisse, sont à la pointe en matière d’homologation des camions électriques, tandis que d’autres, comme la Pologne ou l’Espagne, sont encore à la traîne dans ce domaine. «Mais aujourd’hui, ce n’est certainement plus un problème d’ordre technologique», selon Christian Levin, qui estime que «c’est tout le reste qui constitue le vrai problème».
L’infrastructure?
Actuellement, il n’existe même pas 1000 stations de recharge en Europe où les poids lourds peuvent être rechargés sans problème. «La plupart d’entre elles ne disposent pas non plus d’une recharge en mégawatts, nécessaire pour les véhicules assurant des transports longues distances», explique Christian Levin.
Mais selon le président de la division Véhicules utilitaires de l’ACEA, le véritable goulot d’étranglement réside dans l’extension du réseau électrique à haute tension. Même dans son pays natal, la Suède, il faudrait jusqu’à dix ans pour installer un nouveau réseau de câbles dans le sol. «Il ne s’agit plus seulement d’installer des stations de recharge, mais aussi de pouvoir les alimenter en électricité.» De plus, les procédures d’autorisation sont souvent beaucoup trop longues et frustrantes.
Modèles commerciaux
Pour que les entreprises de transport passent aux camions électriques, il faudrait que cela débouche sur de véritables modèles commerciaux. En Suisse, où l’exonération de la RPLP est encore accordée pour l’instant, les véhicules électriques présentent encore de nombreux avantages en termes de coût total de possession par rapport au diesel, mais selon Christian Levin, ce n’est souvent pas le cas en Europe. «Généralement, il est encore plus avantageux de rouler au diesel qu’à l’électricité. Nous devons changer cela», déclare Christian Levin. Il voit des solutions possibles dans une combinaison de taxe carbone, d’allégements fiscaux et de nouveaux modèles de financement. «Il est absurde que les carburants fossiles soient moins taxés que l’électricité en Europe. Nous devons rendre plus coûteux le fait d’émettre des polluants.»
Même si le véhicule, l’infrastructure et la situation financière (ou le coût total de possession) sont adaptés, les entreprises de transport ont également besoin que leurs clients s’engagent à participer au financement de la réduction des émissions polluantes. «Personne n’achète un camion pour le plaisir, affirme Christian Levin, les camions constituent un investissement. Mais si le contrat de transport n’est conclu que pour un ou deux ans, comment justifier l’achat d’un camion électrique à 300 000 euros?» Il faudrait désormais des contrats à plus long terme, des signaux plus clairs de la part des gouvernements et un engagement sans équivoque de la part des donneurs d’ordre publics et privés dans le domaine des transports. «Aujourd’hui, les marchés publics devraient globalement exiger des transports à zéro émission», exige Christian Levin: «Nous avons les véhicules, créons la demande!»
Un manque de dialogue
Compte tenu de l’urgence de la question, Christian Levin se dit frustré par l’absence de dialogue avec la Commission européenne. Il fait référence au plan d’action de l’UE visant à maintenir la compétitivité de l’industrie automobile européenne, que l’UE a adopté en un temps record. «Mais nous ne sommes pas dans le domaine des voitures particulières. Les véhicules utilitaires sont une tout autre affaire, nous sommes actuellement exclus des discussions.» Depuis lors, l’ACEA a demandé, dans une lettre ouverte adressée à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, la tenue de discussions urgentes et une révision aussi rapide que possible des objectifs en matière de CO2 pour 2030. «En tant que constructeurs européens de camions, nous soutenons pleinement les objectifs climatiques», affirme Christian Levin. «Mais sans aide en matière d’infrastructures, de coût total de possession et de demande, nous n’y parviendrons pas, et les pénalités infligées causeront un préjudice réel à notre industrie.»
Texte: Will Shiers* / MS
Photos: Will Shiers, Nissan
* Will Shiers: ce Britannique est rédacteur au magazine anglais Commercial Motor et membre du jury International Truck of the Year ITOY.
Définir un cadre juridique
Christian Levin estime que l’Europe devrait adopter une position plus claire sur les technologies de propulsion des camions plus anciens si elle souhaite atteindre ses objectifs climatiques. «De la norme Euro 1 à la norme Euro 6e, l’industrie et les législateurs ont travaillé main dans la main», rappelle-t-il. «Cela nous a permis d’y voir plus clair. Lorsqu’une nouvelle norme sur les émissions entrait en vigueur, la précédente n’était plus autorisée.» Le même principe devrait s’appliquer aujourd’hui, afin d’accélérer l’introduction des camions électriques. Cela devrait être le cas tant pour les véhicules à faibles émissions que pour les véhicules zéro émission. «Mais ce n’est pas prévu actuellement en Europe, contrairement à ce qui se passe en Chine.» Selon Christian Levin, le taux de pénétration des camions électriques en Chine est de 30 %, notamment grâce à une politique stricte, une réglementation rapide et des incitations ciblées: un contraste saisissant avec l’approche disparate et hésitante de l’Europe. «Nous devons prendre des mesures drastiques», prévient-il: il ne nous reste que quatre ans et demi avant 2030. «Comment passer en peu de temps de 3,5 à 35 % de part de marché pour les camions électriques sans prendre de mesures drastiques? Nous n’y parviendrons tout simplement pas si nous ne changeons rien dès maintenant.»
Will Shiers, MS

